Saturday, May 3, 2008

La dragonne de jade


J’ai une très bonne amie qui, maintenant que je suis dans la bizness des cordes, m’aide beaucoup à comprendre comment les gens peuvent trouver le sexe alternatif intéressant. Elle est une véritable adepte de « la chose ». J’ai tenté d’ignorer cet aspect de sa personnalité, mais c’est un peu difficile quand elle se perd en détails sur l’entretien des vêtements en latex et que l’envie de vomir qui me prend inévitablement nuit à ma capacité d’écoute.

Il n’y a une toute petite chose étrange à propos d’elle (en plus de sa fascination pour les hommes ligotés) : c’est une dragonne. Une dragonne de jade pour être plus précis. Ayant l’esprit plutôt ouvert et étant à mes heures assez mondain, je suis tout à fait prêt à accepter que d’énormes écailleuses créatures cracheuses de feu existent (ha ! et j’allitère encore !) et prospèrent tout en ayant un impact macroéconomique positif sur notre société capitaliste. Ce qui m’irrite un tantinet c’est que Miss Jade est, genre, cousine de ma gargouille (dans un aspect ribonucléique du moins. Selon elle). Quand elle me rendit visite récemment, elle s’est trouvée déconcertée par le fait qu’une chose… congénère accepte d’être enchaînée dans ma cuisine et se vautre dans sa crasse tout en produisant des gadgets sexuels pour les personnes salaces - brillantes et séduisantes à la fois, aussi, bien sûr, ce sont nos clients - de ce monde.

(Les dragons peuvent s’avérer légèrement condescendants envers nous, pauvres êtres de chair dépourvus de carapace).

Quand j’arrive à faire fi de son attitude royale, sourde à toute opinion différant de la sienne, et que je tente de lui faire comprendre par tous les moyens que la bestiole qui m’appartient APPRÉCIE faire les cordes (et, manifestement, ADORE se vautrer dans ses immondices), elle se montre plus qu’autoritaire dans ses protestations.

La dernière fois qu’elle nous a fait grâce de sa présence, je n’avais plus du genre de simili-litière-à-chats pour déchets toxiques. Mon gargantuesque insecte était donc particulièrement effluvant. Sans même m’en parler, elle s’est emparée d’un coupe boulons d’en dessous de sa cape (les dragons aiment bien les capes. De soie. En fait, ce détail a peu d’importance sur le déroulement de l’histoire, mais il apporte un indice visuel, vous permettant ainsi de mieux apprécier la scène. Sans ces détails descriptifs, le lecteur pourrait croire que seul un fou inventerait de telles trivialités dans un contexte fictif… ça signifie donc que je dis la vérité non ?).

Je pourrais rivaliser avec l’œuvre de Soljenitsyne en gribouillant des milliers de pages pour décrire la pure cruauté et les entrailles de pigeon éparpillées ayant résulté de son geste inconsidéré. Qu’il me suffise de dire que les vieillots toits plats caractéristiques du Plateau ouvrier des siècles derniers ont été témoins d’une scène d’abjecte et sanglante agilité gargouillienne et de viols d’oiseaux urbains.

…il aura fallu mobiliser le tiers des pompiers de Montréal pour l’immobiliser. Puisqu’ils étaient sans ceinture – ces gigantesques et caoutchouteux pantalons de clowns nécessitant des bretelles – ils n’avaient pas l’équipement correctionnel de cuir convenable dans ce genre de situation. Je suis convoqué à la cour municipale la semaine prochaine afin de justifier ma possession d’un tel être aromatique. Je devrai probablement devoir expliquer à un juge à la soumission inavouée et en total déni de son fétichisme du pied comment le chanvre permet de fabriquer de superbes cordes.

ET Madame Jade ne m’a jamais présenté d’excuses.

Quelle vie palpitante que la mienne. Eh Misère.

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