Monday, May 5, 2008

Le juge

La nature possède ses propres lois et nous pouvons les voir régir un peu partout. Si de grands arbres privent les broussailles de la lumière du soleil, celles-ci vont alimenter des feux de forêt qui feront s’incendier et provoquer la disparition d’une partie de ce couvercle obscurcissant. Les femelles de différentes espèces se sont montrées capables de se reproduire de façon asexuée lorsque les mâles manquaient, leur permettant ainsi perpétuer leurs gênes. Meutes, hordes, bandes et troupeaux s’organisent de façon à maximiser la longévité de l’espèce.

Nous, humains, placés au sommet du monde animal, et en tant que création la plus exquise de Dame Nature, avons créé nos propres lois afin de façonner notre monde en ce qui nous semble le plus « juste ». L’interprétation de la justice varie certainement à l’intérieur même de notre espèce, mais un concept –nan, un fondement- demeure omniprésent.

Les hosties de juges aux derrières desserrés lécheux de gonades.

Je me suis rendu aujourd’hui à la cour municipale, scrupuleux de remplir mon devoir de citoyen en remboursant le coût des dommages infligés à nos superbes antennes paraboliques et nos prudes populations aviaires par ma gargouille la semaine dernière. Ayant pris congé du travail en cette période particulièrement agitée (mon patron, qui possède tous les pré requis pour devenir un juge accompli, m’ajoutera certainement à sa liste noire à mon retour), j’ai décidé de braver la tempête. Ma compagnie d’assurances avait déjà remboursé les gens dont les propriétés avaient été endommagées, donc cette partie était réglée. La poursuite se concentrait donc sur la question de la légalité de posséder une créature provoquant de tels remous dans le partage des espèces tel que nous le connaissons, et qui plus est, n’a absolument aucune mention dans le code Napoléon. J’ai créé un précédent (en supposant qu’il y ait des subséquents).

À mon entrée dans la salle d’audience, on m’avisa que mon cas serait le troisième à être examiné. Je m’installai donc parmi l’auditoire et suivit l’histoire d’un couple hystérique qui déclamait contre son propriétaire (et finalement, la société dans son ensemble) qui l’obligeait à vivre dans des conditions infernales car il a fallu quatre longs jours avant que la serrure de la chambre de leur adolescent onaniste soit changée. Cet incident justifiait, semble-t-il, leur déchaînement de pyromanie sur les quatre chats angoras du propriétaire. Le deuxième cas était moins spectaculaire, bien que l’imagination déployée par une épouse trompée m’a permis de rayer une légende urbaine de certains sites avec cette histoire d’utilisation particulièrement cruelle d’un fer à friser sur le mari adultère.

Quand vint mon tour, je me dirigeai vers l’espace du prévenu en compagnie de mon avocat, et un énorme monsieur avec un marteau à la main leva les yeux d’un dossier assez épais. La mince coulisse de bave ruisselant sous sa bajoue droite a traduit l’incommensurable effort (on aurait même pu croire qu’il était lettré) qu’il déployait à tenter de comprendre le cas qui se présentait à lui. Quand il intima au procureur de résumer le dossier qu’il avait feint de lire, la charmante dame de la table voisine se leva et exposa une kyrielle d’actes répugnants associés aux faciles réjouissances gargouilliennes. Nos arguments de défense portaient sur le fait que j’avais reconnu ma part de responsabilité quant aux dommages civiques et que l’on ne pouvait me rendre coupable d’offense criminelle puisque toutes les revendications sur la propriété avaient été réglées. Nous avons de plus invoqué la Loi du Travail, qui protège mes droits d’entrepreneur (c'est-à-dire que je peux enchaîner un être productif et exploiter son unique expertise si j’en ai envie caltor!).

Heureusement, cet argument a semblé faire son chemin à travers les multiples couches de mucus du crâne de notre magistrat instructeur, car cela lui a probablement rappelé la politique RH de son sélect club de golf privé. Il a marmonné quelque chose et, même si c’était presque incompréhensible, cela a eu tout un effet sur l’auditoire, ne serait-ce que de par la cascade de salive qui a entaché sa toge alors qu’il déclamait. D’après la réaction de la salle, j’ai compris que j’avais simplement à m’assurer que ma gargouille serait efficacement incarcérée dans son lieu de travail, aussi longtemps qu’elle m’apporterait du revenu. Une fois sa période de productivité achevée, elle serait déportée ou exécutée, selon ce qui s’avèrerait le plus rentable selon l’époque et le marché du moment.

Au bout du compte, l’histoire s’est plutôt bien terminée. La compagnie d’assurances a même dépêché un ancien architecte spécialisé en habitations carcérales pour me conseiller sur les moyens de prévenir de futurs incidents en gardant le petit monstre vert à l’intérieur de son cachot. Gratuitement.

N’empêche, nous devons nous assurer de la prospérité du marché des cordes si je veux quintupler mes primes. Allez allez! Un peu de salacité bordel!

No comments: